Les phrases compagnes

 

24 pierres de taille du moyen-âge, plaques en alu-dibond imprimé, installation pérenne dans l’espace public, 2013.
Commande de la ville de Blanquefort (Gironde).

Sur la Boucle Parcs et Châteaux de Blanquefort, vingt-quatre textes imprimés sont présentés au promeneur sur autant de pierres dressées provenant des restes d’une construction médocaine de Templiers. Ils traduisent une vision personnelle des divers paysages urbains traversés en évoquant quelques pistes de rêveries (ou de recherche parfois) ayant trait au patrimoine, à l’art, à l’écologie :

 

Les idées en marche
«Mes pensées dorment si je les assis. Mon esprit ne va, si les jambes ne l’agitent.» Comme Montaigne, beaucoup d’écrivains et d’artistes ont besoin de ce déplacement physique pour mettre en mouvement l’imaginaire ou le discours. La marche provoque une succession de sensations, de rêveries. Elle est tantôt linéaire tantôt «  à pièces descousues »…
 
Folies et caprices
Pittoresque signifiait autrefois pictural, et digne d’être peint (de l’italien pittore). Ici à Cambon, dans cet ancien jardin privé, on trouve une « fabrique ». Ces édifices d’agrément, aussi appelés folies ou caprices, ont d’abord figuré dans les fresques antiques, puis dans les peintures classiques avant d’être réellement construits, pour que le paysage ressemble à un tableau.
 
Le miroir de Claude
Au XVIIe siècle, le peintre Claude Lorrain représentait une nature idéalisée, paisible et spirituelle. Au siècle suivant, on a conçu les parcs pittoresques anglais sur ce modèle. Le « miroir de Claude » était un petit miroir portatif. Le promeneur s’en servait parfois pour regarder le paysage. Si le cadrage était réussi, l’image reflétée pouvait ressembler un instant à un tableau du maître.
 
Les adventices
Les plantes sauvages qui poussent là où on ne les attend pas, ne sont pas des « mauvaises herbes », mais possèdent le plus souvent de nombreuses vertus culinaires, médicinales, indicatrices et jouent un rôle écologique primordial. Mauve, coquelicot, plantain : découvrir leurs noms et leur diversité est une aventure à la portée de tous.
 
Les monuments vivants
Les arbres « vénérables » se fondent dans le décor urbain, on finit par ne plus les voir. Pourtant, certains sont plus anciens que les bâtiments des alentours et constituent une mémoire des lieux. Quel âge ? Quelle essence ? Sont-ils taillés ? En les prenant comme repères à nos parcours, on pourrait « lire » la ville, à travers l’histoire de ses arbres.
 
Les chemins de traverse
Une ville est souvent sillonnée de sentiers aménagés ou créés à la longue par les habitants. Ces raccourcis sont parfois des passages entre des ambiances architecturales très différentes. Pour moi, ces « corridors » sont aussi des rêveries de campagne dans l’urbain, comme si le chemin rural structurait la ville moderne discrètement.
 
Le local universel
Longtemps, le voyage en Italie a été un passage obligé pour la formation des artistes. Inspiré par les paysages du Médoc, le peintre Odilon Redon pensait que Rembrandt, qui n’a jamais quitté Amsterdam, annonçait « l’art profond » en déconseillant les voyages à ses élèves. On cherche parfois très loin matière à s’émerveiller sans voir les richesses de notre environnement quotidien.
 
Projeter la ville
Le mot « projet » vient du latin projicere (« jeter quelque chose vers l’avant »). Autrefois, pourgeter une ville signifiait « la reconnaître par une expédition ». Des groupes d’artistes comme Stalker traversent les friches, les marges de la ville et ses quartiers en devenir. Chaque randonneur trace ses lignes d’exploration, étape par étape (ou pierre par pierre)…
 
L’âne qui boit la lune
Ce conte médocain, recueilli par Alain Viaut, est aussi très répandu d’Europe en Asie : une nuit, un homme naïf regarde son âne boire dans une mare. La lune se reflète dans l’eau. Un nuage passe et elle disparaît soudain. L’homme croit que l’âne a bu la lune. Par cupidité il tue l’animal, mais ne trouve pas la lune qui se remet à briller dans le ciel.
On pourrait en faire un haïku (poème court japonais) :
Dans la mare où l’âne boit, le reflet de la lune
un nuage passe
l’âne a bu la lune !
 
La randonnée
Une randonnée est un conte à déclamer très rapidement dans lequel une formule se répète, les évènements s’enchaînent et créent un parcours : dans le conte médocain Lo còc (la galette), un personnage demande du pain à une vieille dame. Pour cela elle lui réclame des plumes. Il va demander des plumes à la buse qui lui réclame des tripes, et ainsi de suite, jusqu’à l’océan.
 
Les monuments de Smithson
Dans les années 70, les artistes du Land art ont considéré le monde extérieur comme un vaste atelier. Robert Smithson, par exemple, a exploré des paysages industriels à l’abandon, comme un vaste musée révélant nos utopies obsolètes. Ici, de grosses canalisations, une passerelle métallique reconstruite, contrastent avec le parc ancien et sont comme de futurs vestiges de cette modernité.
 
À l’air libre
« O Médoc ! mon pays solitaire et sauvage » s’exclamait Étienne de la Boétie, l’auteur du Discours de la servitude volontaire, appel au bon sens des peuples, écrit au XVIe siècle. Par association d’idées, pourquoi ne pas profiter d’une calme promenade pour se demander quelles sont les idéologies actuelles qui conditionnent notre regard sur les choses ?
 
Aqua viva
Il y a ici une histoire forte avec l’eau : se rencontrent, à des fins utilitaires ou ornementales, un cours d’eau, un plan d’eau, une fontaine, des ruissellements inondant parfois ce parc romantique et transformant son esplanade en miroir d’eau spontané. La source, elle, rappelle le temps où l’eau, pure, appartenait à tout le monde.
 
Les ruines
Ici sont formés les futurs agriculteurs et viticulteurs. Le château Dillon est comme évidé et se couvre de végétal. Inspire-t-il aux élèves un amour et un respect du patrimoine vivant avec lequel ils vont travailler ? Les ruines semblent réconcilier culture et nature, et suscitent toujours une émotion singulière, liée à notre propre fragilité. 
 
Le paysage soutenable
Le philosophe Augustin Berque désigne par la formule ville insoutenable l’urbain « diffus » gagnant toujours plus sur la campagne. Par amour de la nature en tant que cadre de vie, on la détruit en tant qu’écosystème. Comment concilier notre envie de maison individuelle dans les bois avec la préservation des paysages et des ressources naturelles ? ­
 
Nature en réserve
Les Grands Marais de Bordeaux s’étendaient, dit-on, sur plus d’un millier d’hectares. La réserve naturelle voisine en est une « relique ». Sur un axe migratoire, prairies humides, haies, bosquets, cours d’eau, fossés, y accueillent, aux portes de l’agglomération, une riche diversité : environ 3300 espèces animales et végétales y sont recensées.
 
Pierre et lierre
Les vestiges de la forteresse m’évoquent un tableau de Poussin, créateur d’une éloquente poétique des ruines. Maintenant dominé visuellement par les immeubles au loin, le puissant château d’autrefois, situé sur la seule route du Médoc au milieu des marais, est bien démuni depuis leur assèchement. Mais il est encore protégé par un environnement de bocages, inchangé depuis que Léo Drouyn l’a dessiné au XIXe siècle.
 
Bruits et sons
Ici, s’arrêter et écouter attentivement ce que Murray Schafer appelle le « paysage sonore ». Déterminer si nous sommes ou non dans un « paysage hi-fi » (dans lequel chaque son est clairement perçu) : chants d’oiseaux, vent dans les feuillages, aboiements, vrombissement de moteurs au loin… Répéter l’expérience plusieurs fois au cours de la promenade.
 
Lire le paysage
Une simple flânerie peut se transformer en une véritable lecture de l’environnement. Ici un alignement d’arbres, là un talus, une friche, un château, un bâtiment agricole, un bosquet, un lavoir : tous ces éléments et leurs traces successives nous racontent une histoire. Cheminer en déchiffrant cette « écriture » nous en fait sentir les transformations.
 
Les plantes compagnes
Associer les plantes qui « s’aiment » est une méthode ancienne de culture, redécouverte par les jardiniers et les agronomes : spontanées ou cultivées, elles peuvent mutuellement se protéger, se stimuler. Quant aux sauvages qui jalonnent nos parcours, elles sont dites anthropophiles, parce qu’elle poussent dans le sillage de l’homme.
 
La mémoire des pierres
Les pierres qui m’ont été cédées pour ce projet viennent du Médoc et faisaient partie des restes d’une bâtisse construite par les Templiers. Elles sont autant de fragments de murs, de portes, de fenêtres, comme les pièces d’un puzzle porteuses d’une mémoire qui dialogue maintenant avec celle des pierres de Blanquefort.
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Les sols
On peut connaître, grâce à la présence des plantes sauvages, dites alors bioindicatrices, la composition d’un sol et son histoire. Même si on ne le voit pas, le travail des micro-organismes qu’il contient est vital pour nous. Un marcheur porte certainement une attention particulière aux divers sols rencontrés : goudronné, nu, sablonneux, enherbé…
 
Le travail des arbres
Avec le biologiste Francis Hallé, qui défend la forêt primaire, nous prenons conscience du rôle de nos grands arbres : on peut estimer à 1 hectare la surface aérienne externe d’un grand arbre, à 30­ sa surface interne, et à 130 sa surface racinaire. Le total de ses surfaces d’échanges avec le milieu se monterait à 160 hectares.
 
Histoire des jardins
cette rocaille faisait partie autrefois du domaine Dulamon, comme l’actuel parc de Majolan. Celui-ci raconte l’histoire de nos relations avec la nature : sa rénovation récente allie son aspect romantique à des espaces plus sauvages, sujets aux métamorphoses. Beaucoup de paysagistes, comme Gilles Clément et son « Jardin en mouvement », accueillent et observent dans leurs projets les dynamiques du vivant.

 

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