Les pierres rouges

Vidéo, 10’34’’, 2010.

Exposition Les pierres rouges, résidence Mutations d’office, Mont de Marsan.

Pendant mon temps de résidence dans un quartier en mutation, la phase de démolition de nombreux bâtiments était en cours. Après le départ de leurs occupants, relogés dans d’autres zones de la ville, les habitations collectives étaient évidées, comme désossées puis détruites. La vie semblait rythmée par ces disparitions progressives. Si l’on s’absentait quelques jours, un immeuble entier pouvait avoir totalement disparu. L’herbe repousse ensuite et la physionomie des lieux s’en trouve métamorphosée, sans plus aucune trace de ce qui était là. Quand deux de ces immeubles ont été réduits à un long amoncèlement de gravats, m’évoquant une chaîne de montagnes, j’ai pu, avant qu’ils ne soient évacués, faire des panoramiques vidéo depuis un point de vue légèrement surélevé, la souche d’un arbre abattu. À partir de ce dispositif de fortune, j’ai comme pris l’empreinte linéaire de ces gravats, telle une phrase donnée à lire. J’ai saisi l’occasion d’une observation lente, d’un regard insistant sur ces éboulements programmés. Ce défilement est propice à une réflexion personnelle, qui a pris la forme d’un texte apparaissant en sous-titres, sur la mémoire des lieux, les mouvements de population, l’habitation et l’idée de la ruine. En voici deux extraits :

« Si ces gravats restaient là quelques temps, ils seraient vite recouverts par les rudérales : mauve, vipérine, centaurée, euphorbe, plantain, etc. Dans ce cas, ils auraient une chance de devenir des ruines. Des ruines de béton. C’est plutôt rare. Ce sont les ruines de pierres qui en général déclenchent chez nous une rêverie méditative qui semble nous connecter avec l’histoire humaine, l’histoire des paysages qui en portent les marques, et l’histoire de la nature qui les efface. Quel voyage de l’esprit et quel transport des sens nous offrent donc les ruines ? Un sentiment de fusion entre culture et nature peut-être ? Une émotion singulière en tout cas, liée à notre propre fragilité. »

« Ces gravats ont un pouvoir poétique très fort : comment sont donc faites nos villes ? Ils sont, pour quelques jours seulement, les vestiges d’une vie encore toute récente. Ils contiennent les rêves modernistes des années soixante, et en même temps des millénaires d’enracinement, de déracinement, de migration et de réimplantation.
Les Landes, ce far west*… »

* Cette allusion aux vastes territoires vierges fait référence à l’histoire d’une forêt primaire et d’une lande devenues le plus important massif forestier d’Europe, constitué d’une diversité de paysages naturels à préserver.

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